Comment décarboner le TRM longue distance de façon compétitive et sociale ?
- La station-relais publique de l’aire autoroutière de Sommesous (51) a inauguré le 25 avril ses deux bornes de recharge de 400 et 100 KW . Les terminaux du tronçon Lyon-Avignon ont été les premiers électrifiés tandis que ceux de Lille et Dijon recevront leurs bornes d’ici l’été.
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Ceva Logistics, Engie et Sanef proposent des stations-relais mutualisées distribuant des énergies bas-carbone le long de corridors optimisés pour résoudre l’équation économique et sociale de la décarbonation du transport routier longue distance. Après un million de km parcourus entre Lille et Avignon selon ce modèle, en cours d’électrification, le cabinet Carbone 4 relève de multiples gains. Mais le déploiement des infrastructures reste dépendant des aides publiques.
Plus de « 70 % des trajets de poids lourds se font sur autoroutes, c’est donc là que la décarbonation doit s’accélérer ». Affirmée par Arnaud Quémard, directeur général de Sanef, cette vision est partagée par Ceva Logistics et Engie au sein de l’alliance European Clean Transport Network (ECTN). Ensemble, ils ont eu l’idée originale d’adapter l’organisation des relais postaux d’antan aux enjeux économiques, environnementaux et sociaux du transport routier longue distance d’aujourd’hui. Autrement dit, créer des corridors décarbonés autour de stations-relais, distribuant des énergies bas-carbone, équipées d’espaces pour décrocher et accrocher les remorques et permettre aux conducteurs de prendre leurs pauses obligatoires.
Cette organisation, qui dissocie le couple conducteur-tracteur de la remorque, est testée depuis 16 mois. Sur 900 km entre Lille et Avignon, cette expérimentation est menée avec des camions fonctionnant au bioGNV. Ils sont opérés par le transporteur FDE pour le compte de Ceva. Un million de kilomètres ont déjà été parcourus dans les deux sens du corridor découpé en quatre segments équipés de cinq stations-relais. Pour les besoins du test, quatre de ces stations ont été aménagées sur des sites Ceva Logistics à proximité d’autoroutes à Lille, Dijon, Lyon et Avignon. Le cinquième terminal est public. Il est situé sur l’aire de Sommesous (51) de l’A26 où la distribution de carburants, dont de gaz naturel liquéfié et compressé, est assurée par Shell.
Gains multiples
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- Inauguration de la station électrique sur l’aire de Sommesous en présence (g. à dr.) d’Olivier Storch, directeur général adjoint de Ceva Logistics, Clémence Fischer, directrice générale mobilité électrique d’Engie, et Arnaud Quémard, directeur général de Sanef.
- Ceva Logistics
Sur ce corridor, les tracteurs et leurs chauffeurs effectuent des allers-retours quotidiens entre les stations-relais distantes d’environ 300 km. Après avoir changé de remorques et pris leur pause, les conducteurs reviennent à leur terminal de départ. Grâce à cette organisation, « les émissions de gaz à effet de serre sont divisées par 4 sur la partie autoroutière », relève Carbone 4 chargé de l’évaluer. Cette réduction provient « des boucles réalisées entre les stations-relais par des poids lourds bas carbone à la place de camions diesel », explique le cabinet. Le temps de transport diminuerait aussi de 25 %. « La pause nocturne étant supprimée, les remorques sont transportées plus rapidement », précise son étude. Le trajet routier Lille-Avignon passe ainsi de 23 à 17 h. Dans le même temps, les camions bas carbone utilisés ont parcouru 225 000 km par an (contre 108 000 km en moyenne en exploitation classique) améliorant leur coût total de possession. Enfin, l’alliance met en avant « l’amélioration des conditions de travail pour les chauffeurs » grâce à des trajets quotidiens fixes de quelques centaines de kilomètres avec retour au domicile tous les jours.
Passage à l’électrique
Avec la même organisation, le corridor Lille-Avignon renforce son offre énergétique décarbonée avec le déploiement de bornes électriques. Les terminaux du tronçon Lyon-Avignon ont été les premiers électrifiés. Une ligne régulière de groupage y est opérée par FDE pour le compte de Ceva avec un camion électrique Renault Trucks. La station-relais publique située sur l’aire de Sommesous a inauguré ses deux bornes de recharge le 25 avril. De 400 et 100 KW, elles sont gérées par Engie Vianeo sur un terrain mis à sa disposition par Sanef (jouxtant les points de distribution de gaz carburant).
Les sites Ceva de Lille et Dijon recevront leurs bornes d’ici l’été. Leur ouverture coïncidera avec l’arrivée de trois eActros 600 de Daimler Truck. Ils permettront à la filiale du groupe CMA CGM de proposer un trajet Lille-Avignon 100 % électrique. Lequel pourra être commencé ou prolongé par des pré- et post-acheminements décarbonés également.
Les quatre camions électriques déployés par Ceva font partie d’un lot de 12 véhicules co-financés avec l’ADEME dans le cadre de l’appel à projet « Ecosystèmes de véhicules lourds électriques visant à accélérer la décarbonation ». Pour l’installation des bornes, le logisticien a bénéficié d’aides du programme Advenir. Ses quatre agences sont équipées de bornes de 300 KW fournies par Kempower (Engie Vianeo a opté pour des bornes Alpitronic).
Mutualiser et optimiser les capacités
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- Dès 300 KW, une borne peut charger un camion à 80 % en moins de 45 minutes, soit une durée inférieure au temps de pause obligatoire des conducteurs.
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Pour Engie, Sanef et Ceva, l’organisation du transport routier longue distance autour de stations-relais multi-énergies le long de corridors optimisés est particulièrement bien adaptée à l’électromobilité lourde. Dès 300 KW, une borne peut charger un camion à 80 % en moins de 45 minutes, soit une durée inférieure au temps de pause obligatoire des conducteurs. Elle contourne en outre l’autonomie limitée des tracteurs électriques. La perspective de les faire rouler plus 225 000 km par an est un argument économique de poids « sachant qu’ils coûtent trois fois plus cher que les tracteurs thermiques », rappelle Olivier Storch, directeur général adjoint de Ceva Logistics. L’installation de terminaux sur des aires d’autoroutes ou à proximité optimiserait aussi l’utilisation des bornes et leur rentabilité. Selon Carbone 4, chaque borne d’un terminal pourrait être utilisée jusqu’à 16 h par jour contre quelques heures en moyenne ! L’aménagement de stations-relais sur des aires d’autoroutes « n’appellent pas de foncier particulier », ajoute Arnaud Quémard de Sanef.
Passage à l’échelle européenne
Selon Carbone 4, la rentabilité d’un déploiement à l’échelle de l’Europe de stations-relais distribuant des énergies bas-carbone, dont électrique, supposerait la création de « 190 terminaux et le transit de 5 000 camions électriques produisant 15 Mtkm par an ». Le cabinet identifie plus de 6 000 corridors routiers longue distance en Europe d’une distance moyenne de 1 230 km. Avec un détour de 9 % par rapport à la route directe, la distance entre terminaux serait de l’ordre de 285 km. Carbone 4 estime que ce modèle « est économiquement et environnementalement pertinent à partir de 750 km ». Il réduirait de 60 % les émissions de gaz à effet de serre du TRM européen !
Ses projections à 2030 montrent que « le TCO d’un camion électrique opérant au sein du réseau ECTN serait plus rentable d’environ 20 % qu’un camion diesel ». De quoi compenser les 9 % de parcours supplémentaire. Enfin, la couverture de la France supposerait « une trentaine de terminaux ». Si Carbone 4 confirme la faisabilité de ce modèle, elle souligne que son amorçage dépend d’aides publiques pour construire les terminaux. En France, ce soutien financier serait « inférieur à un milliard d’euros ».
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