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« Pour un transport plurimodal intelligent »

Jerôme Verny

, par Luc Battais

Jerôme Verny, enseignant, chercheur mais aussi acteur du projet France Logistique 2025 plaide pour une approche réaliste du système de transport multimodal en France. Ni le ferroviaire ni le fluvial ne répondront à eux seuls à la demande de transport de marchandises. Le transport routier ne peut plus être considéré comme un fléau. La technologie lui permet désormais d’être au coeur d’un système plurimodal performant et intelligent.

Stratégies Logistique : La question de la multimodalité dans le transport de marchandises ressurgit en France à l’occasion de la campagne présidentielles mais aussi de la relance de France Logistique 2025. Elle a toujours été abordée sous l’angle d’un report modal de la route vers le rail et plus marginalement vers le fluvial. Que peut-on dire aujourd’hui du potentiel transférable et de l’évolution de la multimodalité ?

Jerôme Verny : L’outil statistique en France ne permet pas de répondre de façon satisfaisante à cette question et encore moins depuis 2006, date de l’ouverture à la concurrence du marché du fret ferroviaire. Depuis, la SNCF ne communique que des données chiffrées trop générales. Ce que montrent nos travaux est que le seul mode de transport à progresser en France depuis 1965 est le transport routier, quelles que soient les filières.
Au cours des 20 dernières années, l’évolution de la demande transport est connue : les stocks ont diminué, les expéditions se sont faites moins volumineuses mais plus fréquentes quelle que soit la famille de produits.
Même pour des produits en vrac transportés par le ferroviaire, les chargeurs ont eu tendance à considérer que le wagon isolé c’était décidément bien pratique.

D’un simple point de vue technique, si l’on regarde les produits transportés par familles de produits, très peu ne sont pas transférables de la route à un autre moyen de transport. Mais la question de la multimodalité ne se pose pas en ces termes.
Ce qui structure un système de transport, c’est la demande. Et ce qui a tiré cette demande vers le haut en France depuis 50 ans, c’est l’industrie des produits de grande consommation (PGC), distributeurs compris, et les importations. Ce mouvement a permis de freiner la chute des transports ferroviaire et fluvial et de les maintenir à ce que l’on pourrait appeler un « niveau socle ». Si l’on retirait cette dynamique des PGC de l’analyse sur le long terme, on constaterait un niveau de la demande de transport de 2 à 3 fois plus faible de ce qu’il est aujourd’hui. Le problème pour les modes de transport massifiés comme le ferroviaire et le fluvial est que ce phénomène n’a cessé de s’amplifier et qu’à la question fondamentale des chargeurs sur le manque de capacité, on a répondu infrastructures ou incitation au transfert modal depuis la route.

Or cette stratégie n’a pas fonctionné et ne fonctionne toujours pas. Dans le transport combiné, la modalité ferroviaire probablement la mieux adaptée aux PGC, nous en sommes aujourd’hui en France à prolonger jusqu’en 2018 l’aide au coup de pince qui est une aide d’exploitation. C’est la preuve que le modèle économique du transport combiné n’était pas le bon et que nous n’avons toujours pas de politique alternative.

S.L. : Les chargeurs français continuent de constater un manque de capacité ferroviaire sur le réseau national comme sur le réseau capillaire malgré la création de plusieurs OFP. Quelle est la raison de cette rareté ?

J.V. : C’est probablement qu’en France aujourd’hui, il faut un sacré courage pour créer une entreprise ferroviaire. Après la libéralisation de 2006 les opérateurs ferroviaires européens se sont d’abord installés sur les marchés les plus juteux de l’ancien monopole de la SNCF et notamment le train entier, mais aujourd’hui ceux que l’on avait appelé à l’époque les « nouveaux entrants » sont tous à la peine économiquement.
Il y a également des difficultés de circulation liées aux travaux de régénération du réseau. On ne peut ignorer, au passage, que pendant ce temps les grandes entreprises de transport routier de marchandises ont eu tendance à se reposer sur leurs acquis. On n’y a pas constaté un puissant mouvement de création de départements R&D.

S.L. : Qu’est ce qui peut vraiment changer aujourd’hui ?

J.V. : Beaucoup de choses ! A condition que l’on accepte l’idée que nous sommes arrivés au bout de toutes les solutions dogmatiques et que nous injections plus d’intelligence de technologie et de service dans le système global de transport. Pourquoi, par exemple, ne pas envisager la circulation de trains de véhicules de 25,25m (les EMS, european modular system NDLR) la nuit sur autoroute ?

Les avancées technologiques permettent désormais d’examiner cette question sous un éclairage différent. Pourquoi envisager le contournement ferroviaire de certaine agglomérations au coût exorbitant quand la technologie des wagons permet maintenant un roulage et surtout des freinages quasiment silencieux ? Pourquoi ne pas travailler à des norias de pousseurs automatisés sur des infrastructures comme le canal Seine-Nord ?
Des barges plus petites mais plus nombreuses assureraient par exemple l’approvisionnement des centrales à béton au centre de Paris avec même une vocation de stockage temporaire à quai etc. Les organisations logistiques dans leur ensemble pourraient se remodeler progressivement en s’appuyant sur un système de transport plurimodal intelligent.

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